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L’ARGENT ET LE DISCERNEMENT EN POLITIQUE

La politique, mode d’organisation et de gestion de la collectivité nationale, régionale ou locale, pour le bien des populations, ne vaut que si elle repose sur un esprit de discernement général, une culture de la responsabilité. Cette assertion engage le militant du parti ou mouvement politique et le citoyen lambda, appelés à opérer des choix, notamment à l’occasion des élections. En démocratie, la sincérité du vote est un facteur déterminant pour la légitimité de la représentation et, par conséquent, la confiance nécessaire à l’exercice du pouvoir et surtout de l’autorité. Tout est lié au respect des règles et des procédures qui fondent la crédibilité de toute entité, collectivité, organisation.

Notre pays, la Côte d’Ivoire est comparable à une organisation qui a connu une prospérité et un rayonnement remarquables, par la seule volonté de son leader charismatique, le Président Félix HOUPHOUËT-BOIGNY. De ce fait, la nation en tant que collectif, entité pensante et agissante, n’a pu atteindre réellement la maturité, ni parvenir à la prise en charge autonome de son destin. En cela résident sa fragilité, sa vulnérabilité et sa trajectoire mouvementée depuis trois décennies.

L’on ne peut raisonnablement aujourd’hui affirmer que la politique nationale ivoirienne incarne la modernité et ouvre des perspectives d’un changement planifié pour relever efficacement les défis du futur.

Le préalable à tout changement qualitatif repose sur l’effort de construction d’une société politique, macrosociété fondée sur la citoyenneté, l’éthique républicaine, le sens de l’État et de l’intérêt national. Celle-ci devra être animée par des artisans politiques – plus que des acteurs ! – , se reconnaissant comme des adversaires-partenaires. Ils doivent en outre être conscients de la communauté de destin qui est la leur, pour le meilleur et pour le pire, tout en œuvrant à la construction de la nation.

Au sein de tout parti politique soucieux de la recherche de l’efficacité et de la projection dans l’avenir, il y a des stratèges pour scruter l’horizon et réfléchir pour le long terme. Cette conceptualisation facilite la mise en œuvre des actions engagées. Cet aspect manque cruellement à nos partis et groupements politiques.

À cet égard, le PDCI-RDA (Parti Démocratique de Côte d’Ivoire – Rassemblement Démocratique Africain) apparaît comme une illustration concrète. Le RDA a été créé le 18 octobre 1946, à Bamako, à l’initiative du leader Félix HOUPHOUËT-BOIGNY, pour l’émancipation des peuples africains sous domination coloniale.

Le PDCI fondé, le 9 avril 1946, a adhéré au RDA en tant que section territoriale du groupement politique RDA, couvrant à la fois des États francophones de l’Afrique de l’ouest et de l’Afrique centrale. Il est donc historiquement la matrice des autres partis politiques ivoiriens en activité.

L’ancien parti unique, de 1960 à 1990, se cherche actuellement un Président, à la suite du décès, le 1er août 2023, du Président Henri KONAN BEDIE. Les débats autour de cette question importante voire cruciale pour l’unité et l’avenir du parti suscitent des interrogations légitimes.

L’élection du futur président du PDCI-RDA est fixée au 16 décembre 2023, dans le cadre d’un Congrès. L’on entend et lit ça et là : « un de ceux qui ont l’argent finira par s’imposer ». « Il nous faut trouver quelqu’un qui ne soit pas dans le besoin et qui dispose de ressources financières importantes ». « Celui qui n’a pas d’argent pour prendre en charge le parti comme le Président BEDIE le faisait, doit s’abstenir » et tutti quanti. Cette approche, à notre humble avis, paraît empreinte d’une analyse biaisée et forcément malencontreuse. Selon les Statuts du parti, le candidat à l’élection à la Présidence, outre les critères d’ordre juridique et éthique, devra s’acquitter d’une contribution au financement du Congrès, dont le montant est fixé par le Bureau Politique. Cette contribution s’élève à 20.000.000 (vingt millions) de Francs CFA. Montant rédhibitoire ? Tout est relatif !

Quand on sait généralement comment on s’enrichit dans ce pays, il se pose un problème de décence ! Ceux qui s’agitent pour la candidature de tel ou tel pourraient être motivés plus par la recherche d’intérêts personnels que ceux du parti. Quid d’une vision, d’un projet de société, d’une urgence de réorganisation et de restructuration ? Les partisans des différents candidats devront savoir raison garder dans la communication pendant la campagne électorale, en recourant au principe de l’assertivité, pour préserver, demain, la cohésion à l’heure des choix cruciaux. Tout un art ! Dans un cadre de concurrence ou de conflit, l’une des stratégies de combat consiste à tenter de  » semer la discorde chez l’adversaire ou l’ennemi « . Le PDCI-RDA, par la concertation et le dialogue fraternel, sous l’autorité de ses sages, pourrait sortir renforcé de cette autre épreuve, en gardant la vigilance. Pour le destin de celui ou celle qui aura la lourde responsabilité de conduire désormais le parti après le Président BEDIE, qui lui-même a succédané au Président Félix HOUPHOUËT-BOIGNY, Dieu facilitera l’accomplissement !

Naturellement, ce n’est pas sur la place publique qu’on discute et prépare des stratégies de combat. Le PDCI-RDA, le parti historique qui a forgé la Côte d’Ivoire dans sa configuration emblématique, son esprit et son âme, sous la houlette du Président HOUPHOUËT, ne doit pas entrer dans l’hystérie et l’euphorie, mais conserver sa sérénité. L’histoire n’est pas seulement que l’expression du temps qui passe, mais plutôt une source d’enseignements pour l’homme et la société.

L’argent ? Depuis 1990, année du retour au multipartisme, on augmente régulièrement les cautions de participation aux diverses élections, pour espérer freiner des citoyens, capables de diriger ou d’assurer un mandat. La cfatocratie, démocratie du CFA, ou l’achat des consciences pour une démocratie biaisée, dolosive représente une menace pour l’avenir sociopolitique national. Faute de cotisations de leurs membres, les partis politiques ivoiriens restent financièrement dépendants de leurs leaders et de quelques barons ou supposés tels ! La déresponsabilisation des militants, habitués à se faire entretenir plus qu’à entretenir les partis n’est pas de nature à assurer la vitalité démocratique nationale, faute de liberté de pensée, d’appréciation et d’action ainsi que de libre arbitre des citoyens.

L’argent est absolument nécessaire pour faire fonctionner toute organisation, privée ou publique. L’exigence devrait donc être la recherche de moyens de pérennisation des ressources, à partir des contributions des membres, dans le cas d’espèce, les militants convaincus et engagés pour l’atteinte optimale des objectifs poursuivis. La recherche de ressources propres provenant d’investissements divers et d’autres activités génératrices de revenus est également encouragée. Être dans une sécurité financière permettra aux partis politiques de participer à la vie politique avec plus de responsabilité et d’autonomie, pour le triomphe de la démocratie. Il faut donc pouvoir donner à la jeunesse des raisons d’espérer en un avenir prévisible, par la transmission de valeurs fortes de respect de la liberté, de la dignité humaine et de la parole donnée. La formation et l’emploi sont les moteurs de ce saut qualitatif pour l’insertion sociale harmonieuse des jeunes.

Notre rapport à la politique, particulièrement la démocratie, reste faible, en-deçà de la normalité universelle. De la sorte, un observateur a pu relever depuis des lustres que : « La Côte d’Ivoire n’est pas un pays pauvre, mais un pauvre pays ». À l’observation, le monde va mal, parce que de plus en plus déficitaire d’hommes d’État, de dirigeants instruits aux humanités et à la science de l’homme, ainsi qu’à la marche et la compréhension de l’histoire.

C’est en définitive, par la construction d’une société politique rationalisée, animée par des hommes et des femmes politiques attachés à l’éthique sociale, aux valeurs de la démocratie, de l’État de droit et de la bonne gouvernance, que tout pays peut entrer dans l’espérance nationale commune de paix durable et de développement solidaire.

25 Octobre 2023

Pierre AYOUN N’DAH

Docteur en Droit public

Ancien professeur à l’ENA d’Abidjan

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